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Guy Sorman et la légende du MITI

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Dès 1984, et je ne parle même pas de Georges Orwell, le libéral Guy Sorman avait constaté l’utilisation à tort de l’exemple japonais pour justifier l’intérêt d’un Etat stratège. Aujourd’hui, c’est l’Hérétique qui en parle.

L’État en raison de ce qu’il est en France, doit être stratège. […] Dans les grandes réussites économiques du siècle, chaque fois qu’un pays a su se transformer rapidement, son État, quand il existe, a joué le rôle d’aiguillon et de fédérateur. Tout le monde sait, je pense au MITI japonais, l’agenda que l’Allemagne s’est donnée au début des années 2003/2004 qui a abouti en 2009/2010, et en France plus qu’ailleurs, il en a toujours été ainsi. […]

Je m’empresse de dire que « stratège » ne veut pas dire, comme en grec, commandant en chef. Cela ne veut pas dire : je décide, ils exécutent. « Stratège » cela veut dire un État qui se sent en charge de faire partager un plan de bataille et qui se donne pour tâche de convaincre les acteurs.

L’organisme qui était chargé de préparer et de porter la stratégie existait. C’était le Commissariat au Plan.

Il m’a rappelé cet extrait, que je vous retranscris : il est encore d’actualité en 2012, et permet d’y voir plus clair sur ce sujet…

Au Japon, l’État passe la main

Le voyage au Japon a pour les économistes, les responsables politiques ou les patrons, un parfum initiatique. Chacun vient ici pour découvrir l’explication du miracle de la croissance et pense généralement le trouver au M.I.T.I., le Ministère de l’Industrie et du Commerce extérieur. Le M.I.T.I. est à l’origine d’une vaste littérature qui, après une visite sur place, paraît relever du fantasme, plus que de l’observation économique concrète. Les responsables du M.I.T.I. sont aujourd’hui les premiers à l’admettre. Si l’on en croit cette mythologie, ici, des hauts fonctionnaires superbement intelligents, recrutés à la sortie de l’université de Tokyo, l’E.N.A. du Japon, définiraient les voies de l’avenir et persuaderaient les chefs d’entreprise de s’y rallier au prix de quelques tasses de thé vert. Cette parfaite concertation entre l’Administration et le monde des affaires, autour d’objectifs communs, expliquerait la plus spectaculaire réussite économique de tous les temps. Ainsi, en 1982, François Mitterrand, de retour du Japon, déclarait qu’il fallait un M.I.T.I. français et confiait cette responsabilité à Jean-Pierre Chevènement. Au Etats-Unis, au cours de la campagne présidentielle de 1984, Gary Hart et Walter Mondale ont demandé la création d’un M.I.T.I. américain. Naturellement, entre temps, le M.I.T.I. japonais avait changé radicalement de nature.

Taizo  Kokoyama, responsable du développement international, reconnaît que cette mythologie occidentale du M.I.T.I. pourrait trouver son origine dans les années 60. A l’époque, le retard du Japon était tel que les objectifs de la croissance étaient parfaitement évidents. Il suffisait de rattraper ceux qui étaient devant : les entreprises européennes et américaines. L’avenir était écrit ailleurs, et la planification par le M.I.T.I. relevait du mimétisme plus que de la science économique. Mais dès l’instant où le Japon eût rattrapé ses concurrents, l’avenir n’était plus écrit nulle part et le M.I.T.I. commença à se tromper lourdement. Akyo Morita, le fondateur de Sony, aime à rappeler comment, dans les années 60, le M.I.T.I. lui expliqua qu’il n’y avait pas d’avenir dans l’électronique de grande consommation. Autre exemple célèbre : dans les mêmes années 60, le M.I.T.I. tenta en vain de persuader Nissan et Toyota de fusionner, prévoyant une récession dans le secteur automobile…

Les M.I.T.I. s’est donc reconverti depuis plusieurs années déjà en une sorte de centre de réflexion, même si apparemment la nouvelle n’a pas encore filtré à l’étranger. Des fonctionnaires méditatifs et des patrons en retraite y élaborent on ne peut plus posément des scénarios fu futur et des stratégies de repli pour les secteurs en difficulté, à la manière du Commissariat au Plan français. Mais surtout, le M.I.T.I. a désormais décidé de venir renforcer l’économie libérale en jouant les initiatives dispersées plutôt que la planification centralisée. Il a ainsi ouvert dans tout le Japon des « Collèges pour petits patrons » afin que ceux-ci puissent se perfectionner dans les techniques du management et multiplier les aventures industrielles. Là réside, selon Taizo Yokohama, le nouveau modèle japonais.

Il faut cependant s’interroger sur cette pérennité du mythe du M.I.T.I., en contradiction flagrante avec la réalité récente. La réalité et sans doute que les Japonais fournissent, malgré eux, une sorte de caution aux amateurs de politiques industrielle et de planification centralisée. A tous les libéraux qui prétendent que l’avenir n’est écrit nulle part, ils opposent qu’au contraire, l’avenir est planifiable : voyez les Japonais ! La politique industrielle, en plus de sa séduction intellectuelle -elle rassure-, présente des charmes politiques incontestables. Elle permet aux gouvernements de favoriser certaines régions ou certaines professions, ce qui peut être d’un grand profit électoral.

La vraie leçon japonaise est donc que la seule politique industrielle qui vaille consiste à préparer les hommes à imaginer l’avenir et rien d’autre. Le moteur de la croissance japonaise est l’esprit d’entreprise des japonais.

La solution libérale (chap. « La croissance sans l’État »), Guy Sorman

Je vous recommande chaleureusement d’acheter et de lire cet ouvrage ancien, mais qui n’a pas pris une ride, exceptionnel dans son diagnostic et dans la finesse de son exposé de la diversité mondiale (à l’image aussi du plus récent L’économie ne ment pas maintenant au format Kindle \O/), mais aussi comme un guide pratique de communication à l’usage des militants libéraux, par son analyse des stratégies ayant permis aux libéraux d’accéder au pouvoir un peu partout dans les années 1980.

En démontrant, une fois encore, que l’idée de pouvoir planifier l’économie par le sommet relève de la « présomption fatale« , Sorman se place dans la droite lignée de Hayek. L’information, les idées, sont infiniment divisées, et chaque individu et porteur d’un morceau de cette information. Imaginer pouvoir centraliser la prise de décision, même à la marge, donc prétendre réussir à rassembler objectivement cette information relève de l’impossible. La preuve en est donnée par certains conseils désastreux du M.I.T.I….

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Au contraire, pour favoriser le décollage économique, la croissance, l’innovation, il faut libérer les entrepreneurs et les créateurs de leurs multiples carcans, favoriser l’investissement, la prise de risque, l’initiative individuelle. Bien sûr, il y aura des échecs et des voies sans issues, mais c’est le seul moyen de découvrir des perles rares, ces concepts et produits qui peuvent révolutionner notre quotidien et dynamiser notre économie, et auxquels aucun ministère ne pensera jamais. Par exemple, il est grand temps de faire sauter de la Constitution cette lubie du principe de précaution, qui paralyse la prise de risque, et enfin foutre la paix aux chercheurs et ingénieurs. La réussite est à ce prix, et certainement pas, à mon avis, dans une stratégie insufflée d’en haut, qui démontre chaque jour davantage de failles (puisqu’ actuellement, l’État se mêle déjà à fond de stratégie d’entreprises : lisez plutôt cet article édifiant à ce sujet). Si la gestion par l’État des grandes lignes de la stratégie économique réussissait, l’URSS aurait gagné la Guerre Froide, et la France irait bien mieux qu’aujourd’hui.


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